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dimanche 20 mai 2012

Monsieur Lazhar: Le must du cinéma québécois

Petit catalogue de films sur l'école


(Et que les Québécois me pardonnent pour l'anglicisme utilisé dans le titre, d’usage courant en français !)

 Les films traitant l’école et les problèmes qui y sont liés sont nombreux dans la filmographie francophone…Je ne veux pas remonter trop loin (même pas à l’année 1987 où il y avait  le magistral Au revoir les enfants, film dont j'ai déjà parlé dans mon post Les films de 1987 et que je vais quand même utiliser pour mon affiche «Films-école» -voir en haut) et me borner à ce dernier siècle que nous avons entamé il y a encore peu. Je me souviens d’avoir été particulièrement choqué par le drame Ça commence aujourd’hui de Bertrand Tavernier (1999), puis l’histoire a continué avec le succès du film documentaire Être et avoir de Nicolas Philibert (2002)… un film  que pourtant tout le monde a oublié quand, deux ans après, Les choristes de Christophe Barratier avec la musique de Bruno Coulais ont fait leur apparition (2004). Le phénomène a été un véritable tsunami mondial car Les choristes et leur musique se sont glissés  partout dans le monde. En 2008, les petits écoliers ont été remplacés, pour une fois, par les ados d’un collège d’une ZEP dans Entre les murs de Laurent Cantet. Or, le point commun de tous les titres que nous venons de citer est  le genre dramatique… malheureusement dans l'acception du terme «dramatique» comme synonyme de tragique. Ne pouvait-on donc pas faire un film sur l’école sans pleurer ? se demandaient les enseignants qui, sous peine de se regarder le nombril, assistaient à ces projections en s’essuyant furtivement les yeux à la sortie. Pour nombre d’entre eux ce fut une libération le retour en force de la comédie sur le drame avec Le petit Nicolas (2009) de Laurent Tirard, suivi de Titeuf, le film (signé Zep, rien à voir avec la ZEP !) et sorti le 6 avril 2011 et presque en même temps L’élève Ducobu de Philippe de Chauveron sorti à peine quelques jours plus tard (le 25 avril). Mais quand cette tendance semblait s’installer, les Québécois lancent leur plus grand succès sur cette thématique et le film Monsieur Lazhar du réalisateur Philippe Falardeau fait fureur sur les grands écrans de toute la planète. Faut-il conclure -comme le titre du roman de Daniel Pennac- que le mot chagrin est indissociable du mot école ? Je laisse cette tâche aux psychologues, aux sociologues et aux amateurs philosophes… mon but étant simplement celui de commenter Monsieur Lazhar. Ce film, dont le scénario est l’adaptation de la pièce Bashir Lazhar d'Évelyne de la Chenelière, est un pari ambitieux, car la pièce était un monologue et le réalisateur a ajouté tout le reste.

L’histoire : Dans un collège de Montréal, l’institutrice Martine Lachance (Quelle odieuse ironie!) décide de se suicider et, profitant la pause de la récréation, se pend dans la salle où elle fait ses cours. Alertée par un élève qui est le premier à faire la découverte macabre, une institutrice peut quand même empêcher les autres élèves de voir le tableau ! Se pose alors la question du remplacement, et, comme tombé du ciel, un immigré algérien, Bashir Lazhar –rôle tenu par Mohamed Fellag– frappe à la porte au bon moment car, malgré les formalités qui doivent être suivies il sera embauché immédiatement par la Principale (au Québec, je pense que pour le chef d’un établissement scolaire on parle simplement de directeur -ou directrice dans ce cas- corrigez-moi si ce n’est pas correct !). On apprendra par la suite que Bashir a lui aussi son drame : Ayant dû quitter l’Algérie, menacé de mort à cause d’un livre que sa femme avait écrit et ne pouvant sortir du pays accompagné de sa famille, il doit se résigner à partir tout seul. Cependant, son épouse ainsi que ses deux enfants périront dans un incendie criminel provoqué par ceux qui avaient été dénoncés. Il devra subir l’humiliation de plaider devant une cour de justice pour faire valoir son statut de réfugié pour des raisons humanitaires. À la question « Mais on n’est plus dans les années 1990. On est revenu à la vie normale en Algérie… », Bashir réplique : « Rien n’est jamais tout à fait normal en Algérie ».

Monsieur Lazhar débute donc ses cours, mais le côté « choc culturel » ne va pas tarder à apparaître. Alors qu’il a donné un petit coup avec la paume de sa main sur la tête d’un élève indiscipliné il s’entend dire de la part d’une fille qu’il doit présenter ses excuses parce que –je cite textuellement– « Ici, on n’est pas en Arabie Saoudite ». La principale lui rappelle également l’interdiction absolue de toute forme de contact physique avec les élèves que ce soit pour les punir ou pour leur faire un câlin.

Signalons au passage que, si on doit définir Bashir Lazhar, c’est en précisant qu’il est bien éloigné de toute forme d’intégrisme et que le seul reproche que ses élèves peuvent lui faire, c’est son classicisme et son éducation un peu trop cartésienne : Il change la disposition des tables qui sont en demi-cercle par les files et les rangs traditionnels, et en plus – quelle horreur ! – il fait une dictée sur La peau de chagrin de Balzac, qui, d’après l’opinion des élèves, parle une langue plus proche du chinois que du français. Le premier contact ne semble pas, somme toute, très positif. Mais Bashir est optimiste et petit à petit il parviendra à « apprivoiser » sa classe.

J’arrête là le résumé du film et je ne veux pas aller plus loin, je pense que c’est suffisant et certains me diront que j’ai peut-être gâché l’intérêt ou le plaisir de le voir…j’espère bien que non ! Rien que les dialogues entre Bashir et ses élèves, sont, à eux seuls, un prétexte suffisant pour voir ce beau film qui me rappelle un peu –parmi tous les films que j’ai cités avant– Entre les murs. Sans pour autant oublier que les enfants de Monsieur Lazhar sont beaucoup moins turbulents (peut-être parce qu’ils sont plus jeunes et n’appartiennent pas à ce que l’on appelle un « milieu défavorisé ») ­que ceux de l’instit protagoniste du film de Laurent Cantet.

Et maintenant les compléments vidéo autour du film:
Aujourd'hui, (25 mai) j'apprends que la vidéo du film dans son intégralité a ÉTÉ ELIMINÉE de Youtube. J'élimine à mon tour le lien que j'avais mis au pied de la page, devenu inutile. Je souhaite quand même qu'un maximum de personnes en auront pu profiter...
Désormais, ceux qui voudront le voir devront utiliser d'autres moyens -probablement payants- mais j'insiste, ça vaut le coup !

Un extrait de la pièce Bashir Lazhar d'où est tirée le scénario du film.


La bande annonce du film:



La présentation du film par son réalisateur, Philippe Falardeau


vendredi 16 mars 2012

Intouchables: Le nouveau chouchou du cinéma français

Merci à mon élève Joan C. qui m'a permis d'écrire ce post quelques jours avant que prévu!
Inspiré de l’histoire vraie de Philippe Pozzo di Borgo et son auxiliaire de vie Abdel Yasmin Sellou, le jeune tandem de réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano ont pulvérisé tous les records du cinéma français (du moins pour ce qui fait les recettes) grâce à Intouchables. Voir l’article du succès de ce film par ici.
Si vous n’avez pas encore vu le film, ce n’est peut-être pas une bonne idée de lire l’article de la Wikipédia, parce que l’on y trouve le résumé complet et intégral du film du début à la fin…il s’agit d’un spoiler (ou « gâcheur » comme proposent nos amis Québécois) en bonne et due forme !
Peut-être voudrez-vous également lire le roman autobiographique de Pozzo qui s’appelle Le deuxième souffle –prolongé à présent avec la suite de l’histoire, Le diable gardien– et dont la couverture prend désormais l’image des protagonistes du film. Sur ce blog vous trouverez un résumé, une critique et un petit extrait.

Voici la véritable histoire en trois parties :


L’Espagne a eu l’honneur d’accueillir la première mondiale (23 septembre 2011 au Festival international de San Sebastián).

Voir ici la séquence de la cérémonie avec le curieux pot-pourri de langues:


Pourtant, le film a été rebaptisé comme « Intocable » ce qui est une erreur car  ­- comme le dit Philippe Pozzo di Borgo -:
« Même le titre du film, Intouchables, est le bon. Et vous savez pourquoi ? À cause de la lettre S. Vous avez deux intouchables, paria chacun dans son genre, qui, pris séparément, sont infréquentables et, une fois ensemble, sont indestructibles ».
Si l’on m’avait demandé mon avis j’aurais respecté ce –s  du pluriel qui, en plus, s’ « entend » en espagnol ! Je me demande encore quel critère a fait traduire un pluriel au singulier... pourquoi ne pas changer carrément tout le titre? Dans les «traductions» de titres de film c'est un procédé classique et cela aurait été plus honnête! Bof...Traduttore, traditore, c'est bien connu...
Comme tout le monde sait, le film vient de décrocher le César du meilleur acteur attribué à Omar Sy pour son rôle de Driss, le sénégalais qui est l’aide-soignant de Philippe (François Cluzet), la performance de ce dernier étant également notable car ce n’est pas facile de jouer un tétraplégique…Demandez à Javier Bardem quand il a joué Mar adentro ! (Tiens, on a respecté la version originale du titre espagnol en français). Or, dans le film de Bardem on est en plein dans le drame tandis que Nakache et Toledano, en suivant les recommandations de Pozzo di Borgo, ont voulu faire une comédie sur une réalité qui inspire plutôt des larmes. Pour ce faire, le personnage de Philippe devait être présenté de façon à ne pas provoquer l’inéluctable sentiment de pitié que la vision d’un tétraplégique allait fatalement déclencher.

Omar Sy lors de la remise de son César :


Un pari audacieux que les deux réalisateurs ont su empocher grâce au côté « choc culturel » incarné par les deux protagonistes. À noter que ce choc culturel va beaucoup plus loin que l’origine des deux personnages où, bien entendu, on recherche le contraste absolu : Un blanc riche et cultivé et un noir pauvre sans formation…

Cependant des ponts vont s’établir, et la distance sera moindre que l’on ne l’aurait jugée de prime abord. Driss, à qui on aurait très bien vu installé dans la musique rap (d’un groupe comme Tandem, par exemple), raffole de Kool & The Gang et de Earth Wind and Fire ! Ceci dit, la distance avec la musique classique est toujours énorme mais… Pourquoi ce jeune banlieusard a-t-il des goûts musicaux qui remontent au bon jazz funk des années 1970 ? Et puis, pour ce qui est de la peinture, il est vrai que la scène où Philippe va finalement payer plus de 40000€ pour une toile où on ne voit qu’une tache rouge de sang sur un fond blanc est hilarante… (une situation qui rappelle sans doute la magnifique pièce de théâtre Art de Yasmina Reza) mais cela n’empêche pas de découvrir, peu après, Driss lui-même en train de se mettre à peindre de l’art « moderne », puis de « s’y connaître » et identifier parfaitement un Dali dans le bureau des Assédic.

Bref, la distance culturelle entre les deux hommes va s’amenuiser au fil de l’histoire et la complicité entre les deux sera leur meilleur atout pour devenir « intouchables » !

Pour finir, je réunis quelques séquences du film.

Tout d’abord, voici la bande annonce… :


Puis, les 2 séquences “musique”... 

Celle de la musique classique :


et celle du “Boogie Wonderland”  de Earth Wind and Fire:


Et finalement, la séquence du tableau avec la blague « Pas de bras, pas de chocolat » :


Je rajoute (deux jours plus tard) un complément qui me semble indispensable pour boucler ce petit post sur Intouchables : Quand j’ai parlé de la musique classique et du funk qui illustrent les goûts musicaux de chacun des protagonistes, j’ai commis l’oubli –impardonnable !!! – de ne pas parler de la musique originale du film, un véritable régal pour l’ouie, grâce aux belles harmonies du compositeur italien Ludovico Einaudi. Il s’agit de plusieurs pièces dont “Una mattina” et “Fly” sont ce qu’il y a de plus beau et plus émouvant (voir -ou plutôt écouter- en bas, s’il vous plaît). Je tiens donc à signaler qu’une partie importante du succès d’Intouchables doit être mise sur le compte de la BOF et du compositeur. 
Finalement je profite pour réparer un autre oubli important : 5% des bénéfices de ce film sont reversés à l’association Simon de Cyrène (site de l’association sur le lien) dont l’objet est de créer des lieux de vie partagés pour adultes handicapés et amis.

Merci à tous ceux et celles qui ont apprécié la grandeur de ce film.
Et maintenant, musica maestro Einaudi!
Fly est entendu dès le début du film...


Et la pièce Una mattina peut être entendue à la fin. Superbe!

dimanche 12 février 2012

Spécial il y a 25 ans. La littérature en 1987.

Je viens d'apprendre la nouvelle:

An angel is dead

in memoriam
Whitney Houston  
(1963-2012)


We Will Always Love You
♥♥♥♥♥
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Avec ce post je mets un point final au «Spécial il y a 25 ans» pour ce qui fait le cinéma, la musique et la littérature. J'ai couvert la période 1986-1987 qui correspond à la naissance de mon établissement scolaire (l'EOI de Lleida). Je finis donc en parlant de la littérature de l'année 1987, le dernier point qui me manquait pour boucler tous les événements importants de ce vingt-cinquième anniversaire. Je profite le canevas que j'avais confectionné pour La littérature en 1986, et je constate qu'un an après, trois écrivains sont à nouveaux présents: Il s'agit de Marguerite Duras, Jorge Semprún et Henri Troyat...auxquels il faut ajouter 18 «nouveaux» noms (je ne me trompe pas) pour une liste des 20 meilleurs romans de l'année 1987, car un des romans est signé par deux auteurs.
Pour finir, je refais la même observation déjà exprimée dans la première partie (année 1986) :
Étant donné que la majorité de liens renvoient (sauf indication contraire) à la Wikipédia, je place un astérisque à côté du titre ou de l'auteur quand l'article est pratiquement vide ou n'a pas encore été rédigé. Dans ces cas-là il est pratiquement  inutile de cliquer le lien sauf, s'il s'agit d'un livre, pour connaître la maison d'éditions qui l'a publié en premier et éventuellement effectuer la recherche sur le site de celle-ci.
À part le portail Evene.fr que j'avais déjà recommandé je veux ajouter aussi celui, très bien fait, de Bibliopoche. Dans les deux cas, on peut parfois trouver une fiche détaillée du roman en question qui va faire le bonheur de tous les lecteurs et lectrices.


Avec Les amants du paradis* Raoul Mille a obtenu le Prix Interallié la même année de sa publication. Les amants du paradis est l'un des nombreux livres qui cette année-là (n'oublions pas qu'il s'agit de l'année d'Au revoir les enfants) vont dépeindre la France occupée par les nazis. En prenant comme point de départ le film homonyme de Marcel Carné, Raoul Mille situe son histoire -d'amour-  dans les coulisses du tournage de ce film -de 1942 à 1944- en pleine occupation (d'abord par les Italiens, puis par les Allemands) de la ville de Nice. Commentons que les événements de la guerre expliquent un si long tournage: Il y eut une première interruption lors de l'occupation allemande puis une seconde quand les alliés délivrèrent la ville.
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Loup Durand avait été le nègre littéraire d'un autre «loup»: Paul-Loup Sullitzer (un véritable loup, ce dernier, si je peux me permettre le jeu de mots facile). Ce fut Bernard Pivot dans son émission Apostrophes qui découvrit le pot aux roses, précisément la même année de la parution de Daddy (1987).
Daddy -je l'avais déjà signalé avant- est l'énième livre qui se situe à l'époque de l'occupation... et je ne sais pas trop si l'on peut encore une fois parler «d'histoire d'amour» dans ce cas-là... Il s'agit plutôt d'une histoire assez louche de pédophilie de la part d'un professeur de philosophie recruté par les nazis pour essayer de récupérer une importante somme d'argent destinée à la Résistance et dont l'antagoniste sera un jeune enfant surdoué de 11 ans qui devient la clé de l'énigme. Inutile de préciser que l'enfant deviendra l'objet du désir du professeur dans plus d'un sens.
Ce roman fut adapté 4 ans plus tard sous la forme de BD avec un excellent travail du dessinateur belge René Follet.

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Toujours sur le même registre (thriller situé à l'époque de la montée du nazisme) Dan Franck et Jean Vautrin ont signé ex æquo en 1987 La dame de Berlin, premier de la série Les aventures de Boro, reporter photographe... une sorte de Tintin pour adultes qui sera beaucoup plus tard, en 2006, confiée  par Casterman à un jeune dessinateur, Marc Veber,** pour en faire l'adaptation BD et non pas à Enki Bilal qui pourtant avait fait tous les dessins des couvertures de cette série. Auparavant, il y avait eu  une adaptation sous format de téléfilm en 2 parties de 90 minutes chacune signée par Pierre Boutron en 1991.
**(Ce lien renvoie à la page de Casterman puisqu'il n'y a pas d'entrée sur la Wikipédia pour cet auteur).
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Nous ne quittons toujours pas les nazis (quelle idée fixe, mein Gott !) dans ce livre, Les éblouissements, de l'écrivain belge Pierre Mertens qui retrace la biographie de Gottfried Benn, poète expressionniste et médecin vénérologue.  
Benn avait été fasciné -comme autant de compatriotes de sa génération- par le nazisme considéré la solution aux problèmes de l'Allemagne au début de la grande crise économique des années 1930. Postérieurement, et surtout après l'épisode de La nuit des longs couteaux, le poète va marquer des distances avec le régime de Hitler, sans pour autant couper tous les ponts, cela aurait été trop dangereux ! Il obtient même le support de Himmler quand d'autres membres des SS accusent la poésie expressionniste de «dégénérée, juive et homosexuelle» les pires insultes que les nazis appliquaient alors à leurs ennemis et qui signifiaient un bannissement absolu et immédiat... Pour Benn, ce fut le cas dès 1938. Cependant la fin de la guerre avec la victoire des Alliés ne changea pas la vie du poète qui continuait à être interdit parce qu'on le considérait trop proche d'un régime qu'il avait pourtant condamné.
Les éblouissements a été récompensé, la même année de sa parution, par le Prix Médicis.
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Avec L'égal de Dieu*, Alain Absire nous ouvre la porte à une époque tout à fait différente: Le XIsiècle offre le dépaysement idéal pour situer une histoire d'amour d'un valet pour son seigneur qu'il va trahir par jalousie quand celui-ci l'«abandonne» en choisissant comme compagne une jeune fille du peuple.
40 ans plus tard, le page adolescent, devenu vieux moine à l'Abbaye de Jumièges où il s'est retiré pour purger ses péchés, se remémore les aventures à côté de Liébaut de Malbray le seigneur qu'il avait tant idolâtré à cause de sa passion amoureuse. Il commence à raconter son histoire comme une confession ou une pénitence mais ce sera finalement l'orgueil qui va l'emporter, l'orgueil de se sentir «l'égal de Dieu».
Ce roman a obtenu le Prix Femina 1987.
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Marguerite Duras  continuait en pleine forme en 1987: À son roman Emily L. publié cette année-là, il faut ajouter le recueil de textes La vie matérielle (sous-titré Marguerite Duras parle à Jérôme Beaujour) et un autre recueil de textes Les yeux verts publié dans les Cahiers du cinéma. L'écrivaine infatigable retrace encore une fois une de ces histoires d'amours / désamours vue à travers le regard d'une narratrice (sans doute la propre Marguerite). Cette narratrice, accompagnée de son ami, observe un couple d'Anglais dans un café du petit port de Quillebeuf-sur-Seine dont elle finira par connaître l'histoire. L'homme, qu'elle appellera «Le Captain», souffre de jalousie en lisant les poèmes de sa compagne (Emily L.) car il ne sait pas déceler les sentiments qui s'y cachent. Plus tard, grâce au procédé de la mise en abyme, la narratrice finira par enchevêtrer l'histoire de son  propre couple à celle du couple formé par le Captain et Emily L.


Voici un tout petit extrait d'Emily L.:
«Le Captain avait souffert. Une vraie damnation. Tout comme si elle l'eût trahi, qu'elle eût une autre vie parallèle à celle qu'il avait cru être la sienne, ici,... Une vie clandestine, cachée, incompréhensible, honteuse peut-être, plus douloureuse encore pour le Captain que si elle lui avait été infidèle avec son corps - ce corps ayant été avant ces poèmes la chose du monde qui l'aurait fait sans doute la supprimer si elle l'avait donné à un autre homme»
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François Nourissier, décédé il y a juste un an, est l’auteur de En avant, calme et droit*, un portrait historique de l’évolution française depuis les années 1930 jusqu’à l’époque contemporaine des années 1980 à travers le regard d’Hector Vachaud (dit Vachaud d’Arcole) un professeur d’équitation qui va poser son regard particulier sur cette métamorphose de la France à travers un demi siècle d’histoire. Le titre du livre n’est rien d’autre que la devise du général de cavalerie Alexis L’Hotte -«Le cheval, en avant, calme et droit»- devenue depuis la doctrine du Cadre noir (le corps d’élite des instructeurs d’équitation).
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La formation de peintre de René-Jean Clot l'a sans doute aidé pour écrire L'enfant halluciné*, le roman gagnant du Prix Renaudot 1987. Né à Alger la même année qu'Albert Camus, tous les deux avaient fait partie de l'«École d'Alger» avec d'autres écrivains algérois de leur génération.
Dans L'enfant halluciné*, le protagoniste, qui donne le titre au roman, s'appelle Jean Bressy, un adolescent «retardé» qui n'a que deux passions: La peinture et l'amour jaloux et possessif qu'il voue à sa mère dite «l'hirondelle» une jeune veuve belle et chaste. Or, un jour, celle-ci rencontre le professeur de l'enfant, Ravot, un génie de la peinture mais d'un caractère irritable et autoritaire. Avec cette rencontre, le bouleversement de l'enfant -très instable- semble assuré...
Contre toute attente, le choc psychologique va permettre à l'enfant «halluciné» de briser ses liens de dépendance envers sa mère et son professeur en devenant  un adulte autonome et équilibré.
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Guy Hocquenghem fut le premier écrivain homosexuel à annoncer publiquement son homosexualité dans les médias (en l'occurrence à travers une lettre publiée dans le Nouvel Observateur en 1972). Il y avait eu quand même le précédent (un siècle avant !) de Paul Verlaine qui osa faire la même chose en 1888 quand l'expression "coming out of the closet" ou son équivalent "sortir du placard" était encore bien loin de voir le jour, ou plutôt, de devenir une réalité dans les habitudes du collectif homosexuel. Malheureusement, un an après la parution de son roman ÈveGuy Hocquenghem devait rejoindre la nombreuse liste de victimes du sida (voir les cas de Conrad Detrez et d'Hervé Guibert  dans la Littérature de 1986). À l'instar de Conrad Detrez, dans La mélancolie du voyeur, il décrira dans Ève les interrogations sur le sens de la vie et la recherche des racines de la part d'un narrateur (donc lui-même) atteint de sida. Le pèlerinage se poursuit jusqu'à l'hôpital où il va finalement mourir.
Pour bâtir son roman Hocquenghem a mélangé habilement la narration  à  la troisième personne et le témoignage direct et poignant à la première personne: Par exemple, il fera dire à son héros (son alter ego):
 Bien sûr, nous payons notre avantage ; le prix de la sexualité, c’est la mort.
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L’écrivain réunionnais Axel Gauvin écrit aussi bien en français qu'en créole. Son premier roman, Quartier Trois-Lettres fut d'abord écrit en français puis traduit au créole (Kartyé trwa lèt). Pour Faims d'enfance* et L'Aimé*, ses deux romans suivants, il y aurait eu à l'origine un manuscrit créole dont il aurait extrait la version française, même si la version créole finalement publiée est toujours postérieure à la version française: Bayalina, version créole de Faims d'enfance* est de 1995. Dans ce roman, Gauvin pose son regard sur l'éducation «française» à la Réunion en prenant un jeune d'origine indienne, Soubaya, et un lieu où le choc culturel est plus prononcé qu'ailleurs (la cantine scolaire). Voir par ici une fine analyse de l'écrivain et de son œuvre faite par une Québécoise qui partage avec lui son nom de famille (Lise Gauvin).
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En arrivant à Daniel Pennac, de son vrai nom Daniel Pennacchioni, je ne sais pas par où commencer…Il y a tant de choses à dire sur lui ! Pour faire court disons que je suis passionné de tout ce qu’il écrit. C’est le seul auteur de cette liste que je lis régulièrement 20 ans après la parution de Comme un roman, l’ouvrage qui a été une révolution du point de vue de la pratique de la lecture (avec son célèbre décalogue des droits du lecteur) mais aussi de la pédagogie en général…Parfois je pense que ce serait une bonne idée d’interdire la lecture aux adolescents(1), ça leur donnerait envie de lire ! Et que dire de son merveilleux Chagrin d’école où il nous raconte le parcours du cancre dans le système scolaire (et bien entendu son propre parcours !) : Pour tout savoir sur Chagrin d’école (Prix Renaudot 2007) ne ratez pas cette page de chez Gallimard où il répond affirmativement à la question sur si son parcours ressemble à celui d’un ancien noyé qui est devenu maître-nageur.

(1) Comme ce fut le cas pour Pennac à l'internat

Il est grand temps de parler de son roman de 1987 La fée Carabine, jeu de mots facile sur la fée Carabosse, la fée de La Belle au bois dormant, car -ne l’oublions pas- les premières production de Pennac enseignant avaient été celles de la littérature pour les enfants. Or, en 1985, il change de cap et se lance dans le roman policier avec Au bonheur des ogres (le premier de La saga Malaussène) –une allusion à « Au bonheur des dames » de Zola –. On est donc censé trouver les ingrédients classiques du polar, à savoir : Violence, humour (surtout humour noir), argot et une dose variable -selon les écrivains- de sexe.

Des vieillards victimes de la drogue, des vieilles dames égorgées, une femme qu’on a droguée avant de la jeter dans la Seine et qui s’écrase sur une péniche, un policier tué à bout portant…Côté violence on est servis !

Elle se retourna, un sourire surpris aux lèvres. Elle n'eut pas le temps de protéger sa gorge. La lame du rasoir avait sifflé. Elle sut que la plaie était nette et profonde. Elle sentit qu'elle se noyait en elle-même. Ce n'était pas une mort si désagréable, une sorte d'ivresse bouillonnante.

De l’humour et de l’argot on en trouve dans le passage suivant quand Mo le Mossi et Simon Le Kabyle « escortent » une soi-disant vieille vietnamienne qui vient de retirer une grande somme d’argent du distributeur automatique en lui racontant des horreurs pour l’effrayer:
Tu lis pas les journaux ? Tu sais pas ce qu'on leur fait, nous aut'les junkies à vous aut'les vieilles peaux ?
[…]
- Biell pôh? demanda la vieille, pas gompli biell pôh...
- Les vioques , traduisit le grand Noir.
- Tout ce qu'on invente pour vous piquer vot' blé, t'es pas au courant ?
- Rien que ce dernier mois à Belleville, on s'en est fait trois !

Si la Vietnamienne n’a pas compris « vieille peau » on se demande si elle va piger la « traduction » à la forme « vioque » !


Le sexe a une présence bien plus discrète : Malaussène n’est ni le San-Antonio de Frédéric Dard ni encore moins le prince Malko de Gérard de Villiers . La vie sexuelle de Benjamin Malaussène se limite à des rencontres très échelonnées avec Julie Corrençon dite «Julia» ou «La Corrençon» pour qui il joue le rôle de porte-avions:

Femme nomade, elle me demanda si j'acceptais d'être son porte-avions.
« Pose-toi, ma belle, et décolle aussi souvent que tu le veux, moi, désormais, je navigue dans tes eaux. »

Par contre, la mère de Malaussène est toujours enceinte, avec , de surcroît, des grossesses qui durent 10 mois...
Voici la réflexion de Benjamin -nom ironique pour celui qui est le frère aîné!- à propos de sa vie sexuelle à lui:

Les journalistes de génie ne vous baisent qu'entre deux articles, voilà l'inconvénient. Et si elle grattait dans un quotidien, au moins... mais non, c'est dans un mensuel que ma Corrençon s'exprime. Et elle n'y publie que tous les trois mois. Oui, l'amour trimestriel, voilà mon lot.

Le pauvre ! Et oui, j’avais oublié de dire que Benjamin Malaussène –le héros, ou plutôt l’anti-héros de la saga– a un curieux métier, en fait il travaille comme bouc émissaire:

Malaussène, je vous ai engagé comme bouc émissaire. Vous êtes payé pour vous faire engueuler à ma place. Vous me manquez terriblement. (Bouc, oui, c'est mon boulot. Officiellement « directeur littéraire », mais en fait : bouc. […]
Mais écoutez-moi bien, Malaussène : N'imaginez pas que vous cessez d'être Bouc Émissaire parce que vous prenez des vacances ! Bouc, vous l'êtes jusque dans la moelle de vos os. Tenez, si en ce moment même on cherche le responsable d'une grosse connerie dans la ville, vous avez toutes les chances d'être désigné !

La fée Carabine a gagné le Prix Mystère de la Critique en 1988. Et je ne peux terminer autrement qu’en recommandant vivement sa lecture. Amusement assuré.
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Frédérique Hébrard, avec qui je partage la passion des chats, a gagné en 1987 Le Grand Prix du roman de l'Académie française avec Le Harem, un voyage initiatique d'une Bordelaise, Gabrielle au cœur de l'islam pour découvrir El Haram (en arabe, ce qui est défendu, interdit, par opposition au mot halâl -son antonyme bien connu- pour désigner ce qui est licite ou permis). En jouant sur cette idée, Hébrard va nous introduire dans un amour impossible à trois: Gabrielle, Igor et Perle.
Si les ménages ordinaires ne résistent pas longtemps, à plus forte raison les «ménages à trois»! Mais le dénouement de l'histoire aura encore un dernier coup de théâtre à nous offrir.
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Henri Anger est un cas rare de débutant en littérature, car il a écrit son premier roman, Chatte allaitant un ourson, (voir un résumé par là) en 1979, à l'âge de 71 ans. (Voir ici  sa présentation dans l'émission Apostrophes). En 1987  avec presque 80 ans il publie La Mille-et-Unième Rue* qui lui sert pour gagner le Prix des Deux Magots, l'année suivante.
Le protagoniste est un vieillard qui aime l'humour, la musique et la poésie dans une société où les valeurs sont à l'opposé et qui a la malchance d'être le gérant d'un immeuble de 40 étages voué à une future démolition: La rue étant quasi-abandonnée, les autorités ont déjà enlevé la plaque...  Pourtant, certains habitants des étages inférieurs résistent encore et toujours et vont jusqu'à rebaptiser leur rue (d'où le titre du roman). Par ailleurs, la situation dans les étages supérieurs est complètement différente: Ils sont occupés par des squatteurs marginaux qui ont mis à point un système de treuils pour pouvoir y accéder.
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Netchaïev est de retour de Jorge Semprún raconte l'histoire d'un ancien terroriste qui, trahi par un des membres de la bande, décide de s'éclipser en simulant sa propre mort. Quelques années plus tard, les membres «survivants» du réseau sont confortablement installés dans la société à laquelle jadis ils s'attaquaient. Le retour pour se venger de Daniel Laurançon, alias Netchaïev, que  presque tout le monde croyait mort va mettre le feu aux poudres. Et l'affaire va se compliquer encore plus quand on découvrira que le commissaire chargé de le traquer n'est autre que son propre père...
Ce roman a inspiré le film homonyme de Jacques Deray en 1991. Le scénario est une collaboration entre le réalisateur et Dan Franck, que nous avons déjà vu à propos de La dame de Berlin.
Netchaïev est de retour (le film) fut l'une des dernières interprétations du grand Yves Montand où il jouait le rôle du commissaire Pierre Maroux. Montand eut une crise cardiaque fatale la même année, juste après le tournage d'un dernier film.
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La nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun a gagné de manière bien méritée le Prix Goncourt 1987. Suite d'un premier roman (L'Enfant de sable), La nuit sacrée peut être lue séparément sans problèmes. Dans L'Enfant de sable, un homme n'ayant eu que des filles, décide de mentir sur le sexe de son huitième rejeton pour conserver le patrimoine familial convoité par un frère et parce que ne pas avoir de descendants masculins était le comble du déshonneur. L'imposture fera que la fille sera éduquée comme un homme sous le nom d'Ahmed et ira jusqu'à assumer un mariage avec sa cousine Fatima!
Mais la mort du père le jour de la 27e nuit du ramadan ("La nuit sacrée") change le décor:

« Ce fut au cours de cette nuit sacrée, la vingt-septième du mois du ramadan, nuit de la "descente" de la communauté musulmane où les destins des êtres sont scellés, que mon père, alors mourant, me convoqua à son chevet et me libéra, il m’affranchit comme on faisait autrefois avec les esclaves  […] Tu es une femme (...), La Nuit du Destin te nomme Zahra, fleur des fleurs, grâce, enfant de l’éternité. tu es le temps qui se maintient dans le versant du silence. »


Après l'enterrement de son père, Ahmed "L'enfant de sable à l'identité trouble et vacillante" devenu(e) Zahra "la femme de chair" part alors à la découverte de sa nouvelle condition féminine à ses risques et périls... Ce qui sera le cas pour certaines mésaventures spécialement douloureuses. Ajoutons que Ben Jelloun conjugue le récit réaliste avec le conte et la fabulation et que les frontières entre les deux univers sont quelquefois assez floues. Ce procédé est très utilisé en littérature, du réalisme magique sudaméricain à l'œuvre du senhor José Saramago qui adorait cette ressource et qui l'utilisait si bien. 
En 1993, Nicolas Klotz a réalisé son adaptation cinématographique de La nuit sacrée (voir un extrait par là) avec Amina  et Miguel Bosé dans les rôles principaux.
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Quand on a vécu comme Julien Green -de son vrai nom Julian Hartridge Green- tout le XXe siècle, on peut s'attendre à une vaste production littéraire. Cependant, Julien Green est surtout connu pour avoir été le premier non-français élu à l'Académie Française en 1971 et surtout pour son Journal (voir cet article très détaillé dans Le Figaro) qui couvre la période 1919-1998, ce qui transforme Green en chroniqueur d'exception (presque comme sir Winston Churchill). Cependant, pour ses romans, Green préférait plutôt s'éloigner dans le temps et dans l'espace: L'Amérique sudiste à l'époque de la guerre de Sécession sera son décor préféré, celui choisi pour Les Pays lointains, le premier de la trilogie appelée «Dixie». Cette passion pour les États du Sud lui venait de son héritage maternel qui était issue d'une famille d'aristocrates de Géorgie. Précisément, la protagoniste de ce roman est Élisabeth, une jeune fille de 16 ans d'origine anglaise qui quitte son pays pour s'établir en Géorgie accompagnée de sa mère. Une fois sur place, elle découvrira la société esclavagiste puis le début de la guerre civile avec le Nord mais surtout l'amour de Jonhatan et la perte de son innocence.
Je copie intégralement cette réflexion critique de la Wikipédia qui me semble intéressante:
Le roman n'a cependant pas un parfum d'« eau de rose », et Julien Green introduit très brillamment les sujets de la Sécession, de l'esclavage, de la religion et de la passion. Le contexte historique, comme les descriptions du Sud y sont brillantes et polémiques, par la constante opposition entre l'apparence et la réalité.
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Si Julien Green est mort presque centenaire, Rabah Belamri, n'a pas atteint le demi-siècle de vie car il est mort à conséquence d'une intervention chirurgicale. Cet écrivain algérien est une personne particulièrement malchanceuse pour ce qui fait les soins sanitaires:  Il perd la vue très jeune (en 1962, l'année de l'indépendance de son pays) à cause d'un décollement de rétine mal soigné. Cette histoire autobiographique est celle de Regard blessé * qui obtint le Prix France Culture en 1987. Le jeune Hassan, protagoniste du roman est donc l'alter ego de Belamri, qui, tout en expliquant son drame personnel, décrit également  les derniers événements de la guerre d'Algérie depuis le cessez-le-feu de mars et la signature des Accords d'Évian jusqu'à l'indépendance officielle en juillet puis les premiers mois du nouveau régime... avec les règlements de comptes inéluctables à la fin de n'importe quelle guerre qui produisent encore de la violence. Un regard doublement blessé.
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Guy Rachet, passionné d'histoire, d'archéologie et surtout d'égyptologie publie en 1987 Le Signe du taureaunon pas une histoire de l'époque des pharaons mais de la Renaissance,  à cheval entre l'Italie et l'Espagne, en retraçant la vie (courte mais intense) de César Borgia (du clan familial des Borja du Royaume de Valence). Personnage fascinant, comme ceux de sa famille, en commençant par son père, le cardinal Rodrigo de Borja, futur pape Alexandre VI, ou sa sœur Lucrèce (avec qui il eut des rapports incestueux) sans oublier son frère Giovanni, probablement assassiné par...devinez qui? Les autres personnages de l'époque, Machiavel (pour qui il fut un modèle),  le cardinal OrsiniGiovanni Sforza, les Médicis, sont également au rendez-vous de ce roman historique bien ficelé mais où il est facile de se perdre avec autant d'intrigues et de complots.
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Après À demain, Sylvie, (voir La littérature en 1986) Henri Troyat va conclure sa trilogie Viou en écrivant Le troisième bonheur. Ce troisième bonheur est celui de Jilou, la mère de Sylvie qui tente de le trouver en quittant pour cela Xavier, son deuxième mari, que Sylvie avait fini par apprécier. Quand sa mère lui annonce la rupture, Sylvie, alors âgée de 21 ans, se révolte contre sa mère: Comment peux-tu faire cela? et de renchérir: À ton âge! La vie est pourtant une autre pour cette Sylvie indépendante qui cherche elle aussi -et trouve- son bonheur. Comme j'avais déjà dit, je considère cette trilogie trop proche de la sensiblerie et du roman parfumé à l'eau de rose... mais sûrement y a-t-il encore des amateurs pour ce genre de romans. Pour ce qui est d'histoires de famille, la pagaille qui règne chez les Malaussène me semble beaucoup plus intéressante.
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Le chanteur, compositeur et écrivain Yves Simon publie en 1987 Le voyageur magnifique*, récompensé l'année suivante avec le Prix des libraires. Ce roman est la quête du sens de la vie. À travers le protagoniste, Adrien, un jeune reporter qui décide de voyager dans trois lieux emblématiques pour l'histoire de l'humanité: En Afrique, au lac Turkana (ancien lac Rudolf) où les premiers hominidés qui se sont dressés pour la première fois ont fait les premiers pas de l'espèce humaine. En Asie, à Hiroshima où cette même espèce a failli être anéantie par sa propre bêtise. En Amérique finalement, au Cap Canaveral où trois hommes ont écrit l'une des plus belles pages de l'Histoire  avec ce "petit pas pour un homme / bond de géant pour l'Humanité". 
Lorsque, avant d'entreprendre le voyage, Adrien rencontre Miléna, une comédienne tchèque qui vit au jour le jour et celle-ci lui demande -et obtient- qu'il lui fasse un enfant, Adrien comprendra que la naissance d'une nouvelle vie constitue un événement sans doute banal mais qui égalise tous ces moments où l'Histoire a basculé car il s'agit bel et bien d'un nouveau commencement.
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